
directeur général
On l’a déjà dit et répété : la pandémie du COVID-19 aura des conséquences importantes et durables. Cet édito propose une analyse des enjeux européens et globaux. Il vise, comme toute l’activité de l’ETUI en ce moment, à favoriser les débats et les échanges d’idées sur la crise et l’après-crise.
Au niveau européen, ce sont les fondamentaux de l’intégration européenne qui ont été remis en question. Les piliers de l’Union européenne sont le marché unique et la libre circulation, l’euro et le pacte de stabilité et de croissance, le droit de la concurrence et les aides d’Etats. Or ces trois piliers sont ébranlés par la pandémie, et seront certainement au centre des débats futurs..
Concernant la libre circulation, le retour aux frontières internes est évidemment frappant, et montre que l’ « autre » européen est toujours considéré comme un étranger potentiellement dangereux car porteur de la maladie. Avec ce retour aux frontières, c’est surtout la question de la sortie du confinement et de la réouverture des barrières qui est tout sauf claire. Quand considérera-t-on qu’on peut rouvrir les frontières internes ? L’exemple de la Chine nous montre la fermeture du territoire après avoir maîtrisé la crise sanitaire. A quel niveau ceci se passera-t-il en Europe ? Aux frontières externes de l’espace Schengen ou pour chaque pays ou petit groupe de pays (Benelux, pays baltes, etc.). A défaut d’une approche commune pour gérer la crise sanitaire on peut penser que l’hypothèse la plus réaliste sera la persistance de frontières internes plus ou moins étanches pour une longue période.
Concernant le pacte de stabilité et la création d’une union monétaire sans solidarité ni pouvoir politique supranational les règles ont bien été changées et cela contraste fortement avec la précédente crise. Mais l’enjeu sera de voir ici aussi l’après-Covid19. Le financement des déficits publics ainsi que des dettes des Etats qui vont naturellement exploser peut se faire de différentes manières. Ces choix sous apparence très technique ont des conséquences très différentes en terme d’impact fiscal et évidemment social. Le choix de monnaie « hélicoptère », la création de Covidbond, l’utilisation du Mécanisme européen de stabilité (ESM), ou d’autres possibilités sera donc déterminant pour le futur. La crise précédente n’avait pas permis d’avancer dans une gestion politique supranationale de la monnaie unique, celle-ci est la seconde et est sans doute une dernière opportunité.
Enfin l’assouplissement des aides d’Etats et le sauvetage d’entreprises en détresse vont reconfigurer ce qui est considéré comme possible et légitime de ce qui ne l’est (l’était)pas. Les effets de cette crise sur l’économie réelle seront longues et le retour à la normale européenne ne se fera pas de sitôt permettant à nouveau des débats (et des choix) différents d’avant. Le rôle de l’Etat dans l’économie, que ce soit indirectement ou directement, ne va pas disparaître en quelques mois.
On le pressent, l’UE d’après-crise (si elle survit) pourrait avoir des bases fort différentes. Mais dans quel environnement global ? Je vois ici émerger quatre possibles scénarii.
Le premier – et contrairement à ce que j’ai écrit auparavant - est le possible retour à l’orthodoxie néolibérale. Un peu comme la crise précédente (2008-2013) après une relance plus ou moins verte en 2009, on est revenu encore plus radicalement aux fondamentaux néolibéraux. Ceci me semble beaucoup moins probable (mais pas à exclure) pour cette crise. Par ailleurs, on semble avoir tiré les leçons de la précédente crise et de sa mauvaise gestion, et l’on voit mal l’imposition d’une cure d’austérité dans un an ou deux pour le secteur public.
Le deuxième scénario est l’hypothèse chinoise (ou hongroise) : on se dirigerait vers un Etat plus autoritaire et contrôlant la population au travers des progrès de l’intelligence artificielle, avec une limitation des libertés (parfois fondamentales) en échange d’un sentiment de protection (du territoire national). Le fait que cette crise sanitaire pourrait être récurrente ouvre la possibilité à des pouvoirs plus autoritaires de s’imposer comme garantissant la sécurité des citoyens nationaux. Ceci va de pair avec un fractionnement du monde et une décroissance des échanges (« deglobalisation ») radicale.
Le troisième scénario est celui du retour à la croissance à tout prix. La sortie de crise se ferait par une consommation effrénée de rattrapage sans considération écologique. Une sorte de belle époque bis, une fête de fin du monde. Cela aurait évidemment des conséquences positives sur les indicateurs classiques et réduirait les faillites et le chômage à court/moyen terme mais aurait des conséquences importantes sur le plus long terme. Les appels de certains gouvernements ou acteurs à oublier le Green Deal soulignent la force de ce scénario.
Enfin, il y a le scenario d’une accélération de la transition écologique et du changement rapide de modèle de croissance avec le retour des services publics, biens communs et solidarité au cœur de l’économie et du social. On en voit aussi les germes dans la situation actuelle. Mais ceci se ferait dans une situation de chômage élevé et de crise économique forte ce qui rend cette transition très complexe. La réduction du temps de travail est ici sans doute le point clé.
Evidemment les scénarii ne sont pas mutuellement exclusif et peuvent se combiner et se développer en parallèle dans différentes régions du monde dans ce qui pourrait devenir notre deuxième déglobalisation (après celle du début du siècle passé).
Pour nourrir ces enjeux et participer aux débats sur les contours de l’après-crise, l’ETUI mettra à votre disposition de nouvelles études, formations, newsletters, webinars, blogs, podcasts,… dans la perspective d’une plus grande justice sociale et du rôle des acteurs sociaux collectifs à façonner ce futur.