Dans son récent discours lors d'une conférence sur la réduction du temps de travail et la crise climatique, le professeure Juliet Schor du Boston College a souligné qu'il est impossible de décarboner de manière adéquate - en visant par exemple une réduction des émissions d'environ 10 % par an, un objectif très ambitieux - sans réduire le temps de travail dans les pays développés. Cela est principalement dû au fait que si la transformation du système énergétique, qui consiste à passer des combustibles fossiles aux sources d'énergie renouvelables propres, est indispensable pour réduire les émissions, elle ne suffit pas en soi.

Ce n'est pas suffisant parce que la transformation de l'énergie doit être couplée à une maîtrise de la demande d'énergie, déclare Juliet Schor. C'est ici que la réduction du temps de travail entre en jeu. Toutefois, pour en saisir la dynamique profonde, il faut examiner attentivement toute une série de liens entre le temps de travail, la croissance du produit intérieur brut (PIB) et les émissions. 

Tout d'abord, il existe un lien étroit entre le PIB et les émissions de gaz à effet de serre. Juliet Schor a précisé que de plus en plus d'études montrent que le découplage ne se produit pas réellement, ce qui signifie que lorsque le PIB augmente, les émissions augmentent également. Qui plus est, l'augmentation des sources d'énergie propres ne remplace souvent pas les sources de combustibles fossiles à raison d'une pour une, comme le prévoient les stratégies de croissance verte habituelles, mais contribue plutôt à accroître la demande énergétique. Somme toute, cela signifie qu'il n'y a pas de croissance sans émissions. Par conséquent, Juliet Schor recommande de limiter (et de réduire) également la demande en énergie. 

C'est là qu'intervient notamment le lien entre le temps de travail et le PIB. Si l'on imagine un consensus sur une situation où le PIB ne croît pas, mais où la productivité peut augmenter, deux choses peuvent se produire en conséquence : le chômage ou la réduction du temps de travail. Certes, personne ne souhaite le premier scénario, alors la réduction du temps de travail devient une option. Aussi, Juliet Schor préconise une situation dans laquelle l'augmentation de la productivité se traduirait par une réduction du temps de travail, mais sans croissance du PIB.

Vient ensuite le rapport entre le temps de travail et les émissions. De plus en plus de recherches mettent en évidence une corrélation extrêmement forte et constante entre le temps de travail et les émissions, tant au niveau macroéconomique des pays qu'au niveau des ménages. Pour réduire les émissions au niveau des ménages ou des individus, il faut modifier non seulement le temps de travail, mais aussi les habitudes de consommation, même si cela ne fonctionne pas toujours, selon Juliet Schor. 

À cette fin, elle recommande de rompre le "cycle travail-dépenses", où la croissance de la productivité se traduit par plus de revenus, plus d'heures de travail, plus de dépenses et une plus grande expansion de la production. Ce phénomène peut se produire lorsque la croissance de la productivité est liée à une réduction du temps de travail et que l'on donne aux gens du temps (au lieu de l'argent) à leur disposition. La semaine de travail de quatre jours est une option répandue, mais on peut aussi envisager des formules plus diversifiées et plus souples pour offrir plus de choix aux gens. Il existe par exemple aux Pays-Bas un droit inscrit dans la loi qui donne le droit de travailler moins dans le cadre de l'emploi. Cette pratique est loin d'être courante dans certains pays comme les États-Unis, où il n'est possible de travailler moins d'heures qu'en changeant d'emploi pour un autre moins intéressant. 

Crédits photo : Juliet Schor dans l'interview du projet CORE, Wikimedia