
Le 9 mars 2021, la Commission européenne a présenté une vision et des pistes pour la transformation numérique de l'Europe à l'horizon 2030. L'UE a pour ambition d'être souveraine sur le plan numérique et de mener des politiques qui offrent aux personnes et aux entreprises les moyens de tirer parti des opportunités numériques.
Comme pour les précédentes révolutions industrielles, ces innovations devraient, selon les théories, affecter profondément les conditions de travail de milliards de personnes dans le monde entier. La numérisation et l'IA entraîneront la disparition de nombreux types d'emplois tout en créant des catégories d'activités entièrement nouvelles. Les études prévisionnelles annoncent deux conséquences principales pour le monde du travail : une réduction globale de l'emploi et une accentuation des inégalités salariales. Il est généralement admis que les travailleurs très qualifiés et instruits seront capables de répondre aux nouvelles exigences technologiques et bénéficieront de salaires plus élevés. En revanche, les travailleurs moins bien formés et moins qualifiés devront supporter le coût de l'automatisation et courront un risque accru de perte de revenus et de chômage.
Afin de traduire ces ambitions en termes concrets, la Commission a proposé une Boussole numérique évoluant autour de quatre points cardinaux - l'un d'eux étant consacré à la transformation numérique du lieu de travail. D'ici à 2030, les trois quarts des entreprises devraient utiliser des services d'informatique dans le cloud, des big data et l'intelligence artificielle (IA), et plus de 90 % des PME devraient atteindre au moins un niveau élémentaire d'intensité numérique. Dans le même temps, le nombre des entreprises dont la valorisation atteint un milliard de dollars devrait être multiplié par deux.
Ce dernier élément découle du fait que l'IA devrait représenter un apport de 15 700 milliards de dollars à l'économie mondiale d'ici à 2030. Dans une économie où les données modifient la façon dont les entreprises créent de la valeur, beaucoup pensent que les organisations vont se mettre à remplacer les employés humains par des machines intelligentes. Et c'est déjà ce qui se passe. Ces pratiques se sont développées de manière exponentielle sous l'impulsion du crowdworking, qui consiste à décomposer des services virtuels en minuscules tâches simples et répétitives adressées à un groupe de travailleurs et exécutées par eux. En plus de se charger des tâches de gestion, les algorithmes sont également destinés, à terme, à se substituer au travail humain pour ces tâches spécifiques.
Les progrès de l'automatisation sont largement tributaires de l'apprentissage automatique, et donc de l’accès à de grands ensembles de données dont les algorithmes peuvent tirer des enseignements. Sans le savoir, les crowdworkers contribuent en fait au développement des technologies de pointe qui sont destinées à les remplacer. Cette dimension invisible du travail à la demande est considérée comme une source considérable de capital immatériel pour les plateformes de travail. Par exemple, Lyft a bénéficié d'une valorisation stratosphérique de 24 milliards de dollars lors de son introduction en bourse en 2019, alors même qu'elle avait perdu plus de 900 millions de dollars l'année précédente. Ces chiffres confirment que le principal atout d'une plateforme de travail numérique n'est pas la durabilité actuelle de son business model, mais son potentiel futur en tant que fer de lance de ce que l'on a pu appeler la quatrième révolution industrielle.
Selon Aída Ponce Del Castillo, chercheuse senior à l'Institut syndical européen, "les travailleurs se trouvent dans une position de subordination par rapport à leurs employeurs, et dans sa hâte à remporter la course à l'IA, l'UE risque de négliger leurs droits. C'est pourquoi il est nécessaire d'élaborer un cadre juridique protecteur et applicable, avec la participation des partenaires sociaux".
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photo credit: European Commission