
La pandémie de Covid-19 a constitué un stress test pour la sécurité et la santé au travail (SST) dans l'UE, et il a malheureusement révélé un certain nombre de déficiences structurelles dans l’application pratique du système réglementaire européen en matière de SST. Tel est le message clé du chapitre sur la SST de "Benchmarking Working Europe 2020" (1), l'une des publications annuelles de l'Institut syndical européen (ETUI).
Exemples de problèmes de SST dans trois secteurs
Les travailleurs des soins de santé, les infirmières en particulier, mais aussi les techniciens de laboratoire, les pharmaciens et les nettoyeurs, entre autres, sont exposés à des produits médicaux dangereux, notamment des médicaments cytostatiques. Ces situations existent depuis des dizaines d'années déjà, et les mesures de prévention ne répondent souvent pas aux normes nécessaires pour protéger correctement les travailleurs. Les personnes les plus exposées présentent, par exemple, un risque de cancer du sein plus élevé de 87 %, un risque de cancer hématopoïétique plus élevé de 64 % et un risque de fausse couche plus élevé de 46 %. (2) En outre, au cours des années, les travailleurs de la santé ont vu leur charge de travail s’accroître, en raison de la pénurie grandissante de personnel, provoquée par la réduction des dépenses publiques depuis la crise financière de 2008 et qui a particulièrement touché le secteur de la santé. Ces travailleurs sont donc exposés à de graves risques psychosociaux.
Depuis des décennies, les conditions de travail dans le secteur européen de la viande sont lamentables, comme le souligne le récent rapport de la Fédération européenne des syndicats de l'alimentation, de l'agriculture et du tourisme (EFFAT). (4) Les salariés travaillent dans le froid, effectuent des tâches très répétitives – un phénomène qui est accentué par l'augmentation de la vitesse des lignes de production pour répondre à la concurrence féroce dans le secteur - et le travail exige une grande force physique. En outre, ces travailleurs sont souvent soumis à des horaires de travail extrêmement longs. Résultat : une augmentation du nombre des maladies professionnelles, telles que les microtraumatismes répétés (RSI) et autres troubles musculo-squelettiques (TMS), et des facteurs de risque psychosociaux au travail, le plus courant étant le stress lié au travail. De plus, les accidents du travail, comme les coupures, les glissades et les chutes, sont fréquents. Non seulement les conditions de santé et de sécurité au travail sont mauvaises pour ces travailleurs, mais leur statut d'emploi et leurs conditions de logement sont également extrêmement mauvais, tout cela parce que la plupart d'entre eux sont des travailleurs transfrontaliers ou migrants vulnérables.
Un récent rapport de l'ETUI étudie les risques psychosociaux (RPS) rencontrés par les "gig workers" (5), dont une grande partie effectue son travail (presque) entièrement en ligne, c'est-à-dire en pratiquant le télétravail à plein temps. Cette situation de travail présente des caractéristiques telles que l'isolement social et physique, qui favorise l'apparition de facteurs de RPS comme le manque de soutien social, les problèmes d'équilibre entre vie professionnelle et vie privée et l'incertitude quant à l'identité professionnelle. Tous ces RPS peuvent engendrer de nombreuses plaintes ou troubles mentaux liés au travail, tels que le stress, la dépression, l'épuisement, le burnout, les conflits familiaux et conjugaux, l'anxiété, l'aliénation, l'ennui, le manque d'estime de soi, etc.
La pandémie de COVID-19 comme révélateur de la situation en matière de SST
Ces trois situations très différentes en matière de SST présentent un point commun : elles ont longtemps été ignorées en dehors des personnes concernées et de la petite communauté des professionnels de la SST, et ne sont apparues au grand jour, pour la société dans son ensemble, qu’avec l'apparition de la pandémie de COVID-19. En plus de tous les risques évoqués plus haut, les deux premiers secteurs ont été exposés à un danger grave de contamination par le COVID-19 et de nombreuses épidémies du virus y ont été signalées. Subitement, la santé des travailleurs de la santé a suscité un intérêt général, car la société devait continuer à profiter du " service essentiel " qu'ils fournissaient, et comment serait-ce possible si de nombreux travailleurs tombaient malades (et même mouraient) ?
À la différence de toutes les autres maladies et accidents dont ces travailleurs ont souffert dans le passé, les épidémies de COVID-19 parmi les travailleurs de l'industrie de la viande ne sont pas passées inaperçues dans la société. Cette fois, elles ont posé un sérieux problème pour la santé d'autrui. Le lieu de travail est apparu comme un vecteur essentiel de la propagation du virus. Enfin, s'agissant de la question du télétravail des travailleurs des plates-formes : personne ne s'en était jamais préoccupé, mais depuis le COVID-19, une grande partie des employés sont contraints de travailler à domicile dans le but évident de limiter le taux de contamination. La plupart d'entre eux pratiquent le télétravail (quasiment ou totalement) à temps plein, et après une année d'expérience, cette situation ne va pas sans risques pour la santé et la sécurité au travail. Outre les risques psychosociaux qui en découlent, il faut également tenir compte des aspects ergonomiques du télétravail de bureau. Le fait que la question fasse l'objet d'une attention particulière crée des opportunités d'amélioration. Le dispositif réglementaire de l'UE en matière de SST nous offre une base et des conseils pratiques suffisants pour concrétiser ces améliorations.
Les opportunités offertes par le cadre juridique européen en matière de SST
La santé et la sécurité au travail est l'un des domaines du droit qui repose sur une base européenne solide. La "directive-cadre" de 1989 sur la SST (89/391/CEE) établit les principes qui fondent la législation communautaire en matière de santé et de sécurité au travail. Vingt-deux "directives-filles" régissent différents facteurs de risque et différentes catégories de travailleurs et prévoient des règles plus spécifiques basées sur les principes de la directive-cadre.
Ce corpus législatif complet fait de la prévention le cœur de la réglementation en matière de santé et de sécurité au travail et sa couverture est large : il exige que la législation en matière de santé et de sécurité protège de la même manière tous les travailleurs, quel que soit leur statut.
Les employeurs sont légalement responsables de la santé et de la sécurité des lieux de travail, et les travailleurs ont le droit d'être consultés sur toutes les questions relatives à la SST.
Sur le plan pratique, le respect de cette obligation suppose nécessairement que l’on se livre régulièrement une évaluation des risques afin d'adopter ensuite des mesures préventives. Ces mesures doivent être intégrées dans toutes les activités de l'entreprise et/ou de l'établissement et à tous les niveaux de la hiérarchie.
La méthode à suivre : la SST comme principe organisationnel
Si la réglementation en matière de SST était correctement appliquée, la situation dans les secteurs cités plus haut ne serait pas aussi désastreuse, et le problème du COVID-19 en tant que problème de SST pourrait être résolu. Pourquoi cela ne s'est-il pas produit depuis longtemps ? L'une des réponses à cette question est que la SST est souvent considérée comme un élément secondaire, alors qu'elle devrait être placée au cœur de la conception organisationnelle. La SST devrait être envisagée comme un principe fondamental qui doit guider les entreprises dans la manière dont elles organisent leur travail, tant au niveau des processus de travail que des ressources humaines et matérielles. Si une telle démarche est mise en œuvre, les mesures COVID-19 feront également partie intégrante de l'organisation du travail et seront donc facilement applicables et efficaces. Comment ? Cela pourrait être le sujet de notre prochain article.
Références
(1) Countouris N. and Jagodzinsky R. (2020), Benchmarking working Europe 2020, Covid-19 and the world of work: the impact of a pandemic, Bruxelles, ETUC & ETUI.
(2) Commission européenne, DG Emploi, Affaires sociales et Inclusion, Background Report – Conference on workers’ protection from exposure to hazardous medical products, 24 et 25 septembre 2020.
(3) Franklin, Paula (2020)., Our failure to prevent known risks: Occupational safety and health in the health care sector during the Covid-19 pandemic. Policy Brief No 11/2020, Bruxelles, ETUI.
(4) Rapport de l’EFFAT, Covid-19 outbreaks in slaughterhouses and meat processing plants. State of affairs and proposals for policy action at EU level, 1er septembre 2020.
(5) Bérastégui, Pierre (2021). Exposure to psychosocial risk factors in the gig economy: a systematic review. Report 2021-01. Bruxelles, ETUI
Cet article a été publié pour la première fois sur Open Access Government
Crédits photo HRAUN