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Un "contrat socio-écologique" est apparu comme un moyen de concevoir ensemble les transitions nécessaires pour sortir des crises actuelles et se diriger vers des havres plus sûrs. Mais qu'est-ce que cela implique ?
Les défis de la transition écologique sont immenses. Un contrat socio-écologique est nécessaire pour y faire face. La notion de "contrat" implique la conclusion d'un accord solide, avec une perspective à long terme, qui fonctionne pour toutes les parties concernées. Il ne peut s'agir d'un accord vulnérable aux aléas de la politique quotidienne.
Fondamentalement, un tel nouveau contrat devrait lier les dimensions sociales et environnementales de la transition, y compris le modèle économique sous-jacent. Tel était le thème d'une conférence organisée en février par l'Institut syndical européen et la Confédération européenne des syndicats.
Le contrat comporte quatre dimensions, ou quatre "i" : les idées, les intérêts, les institutions et les indicateurs.
Les idées, ou comment définir les enjeux
Il est essentiel de disposer d'un cadre approprié pour définir les questions et les problèmes. Selon le narratif qui domine, ceux-ci seront très différents et entraîneront des politiques publiques différentes. Trois cadres principaux sont en concurrence.
Dans le premier, nous sommes uniquement confrontés à la question du climat. Dans cette optique, le défi consiste essentiellement à adapter le capitalisme par l'utilisation (accélérée) de technologies existantes ou proches de la maturité (innovation), tout en gardant ces changements gérables, afin d'assurer la continuité avec la société dans laquelle nous vivons aujourd'hui, et en la rendant peut-être un peu plus égalitaire.
Le deuxième cadre est plus large : nous sommes ici confrontés non seulement à une crise climatique, mais aussi à un déclin accéléré de la biodiversité et à une pénurie de ressources. Ce narratif remet donc en question le système capitaliste "traditionnel" et cherche à promouvoir une nouvelle étape du capitalisme vert, visant à assurer une transition durable et juste. Différentes dimensions sont examinées, non seulement la production mais aussi la consommation. De plus, la question des inégalités est centrale.
Le troisième axe aborde la question philosophique fondamentale de la place de l'être humain dans la nature et dans la "hiérarchie" des espèces ("écologie profonde"). Dans ce cadre, une révolution culturelle s'impose, qui remettrait fondamentalement en cause le capitalisme et notre vision du monde.
Il n'est pas tout à fait clair de savoir laquelle de ces options l'emporte, bien que le débat oscille généralement entre la première et la seconde.
Les intérêts, ou les acteurs et leurs stratégies
Il y a également trois intérêts majeurs. Le premier est l’Etat, remis au goût du jour car il semble être la seule institution capable de fixer des objectifs à long terme. C'est une évolution bienvenue après des décennies de remise en cause néolibérale. Son retour en force ne doit cependant pas nous faire oublier d'importantes analyses critiques de l'État et de sa prétendue neutralité : les vieilles questions sur les intérêts dominants défendus par l'État et sur les contrôles de l'État - questions issues de la tradition marxiste ainsi que de ses critiques ultérieures - méritent également de revenir dans le débat.
L'aspect le plus important ici est le conflit. Comme le montre Hans Bruyninckx, directeur de l'Agence européenne pour l'environnement, les conflits entre les différents intérêts seront au cœur de la discussion sur les idées.
Les institutions financières sont de plus en plus au centre du discours sur la transition, en particulier sur ce qui constitue l'investissement "vert" (et la taxonomie "sociale" parallèle). Pourtant, comme le souligne Ann Pettifor, il existe ici une contradiction fondamentale : donner un rôle central aux institutions financières signifie se soumettre à nouveau à leur pouvoir, qui sera alors presque impossible à limiter.
En tant qu'acteurs collectifs, les syndicats se trouvent de plus en plus au centre de ces débats, notamment parce que les questions climatiques ont et auront des conséquences importantes dans de nombreux secteurs : l'automobile, l'industrie lourde, la construction, l'agriculture, la chimie, les déchets et le recyclage, les mines, etc. La question clé est de savoir quelle place ils auront.
D'une part, il y a les défis à relever pour faire face aux restructurations (y compris les aspects géographiques) et à la reconversion (souvent au sein d'un secteur, comme la construction). Mais la question principale, comme l’a souligné l’économiste Mariana Mazzucato, est de s'assurer un rôle dans la définition des problèmes et donc aussi des solutions, et pas seulement de gérer les conséquences du changement.
À cet égard, le mouvement syndical jouit d’une riche tradition. Il a été un acteur clé dans les luttes pour des salaires décents et la protection sociale, mais aussi pour la santé et la sécurité, les conditions de travail, la participation des travailleurs et la réduction du temps de travail - et, en particulier, dans le débat sur l'aliénation et la libération du travail. Cet héritage devrait faire des syndicats des figures emblématiques dans la mise en place du narratif.
Les institutions, ou comment résister à l'épreuve du temps
Pour qu'un rapport de force s'installe et se stabilise à long terme, il faut des institutions publiques, au sens sociologique du terme. C'est la dimension oubliée de ce débat et sans doute la plus complexe. On pourrait envisager ici des assemblées de citoyens et leur déclinaison législative ; la prise en compte de la dimension environnementale dans des instances officielles comme le Conseil économique, social et environnemental en France ; le développement d'un rôle environnemental des comités d'entreprise; l'émergence de délégués à l'environnement.
Mais, dans l'ensemble, ce n'est pas beaucoup. Il nous manque sérieusement des instances au niveau européen qui peuvent non seulement servir de plateformes de débat - sur les points où un consensus peut être rapidement atteint et sur ceux où une discussion plus approfondie est nécessaire - mais qui ont également la capacité d'influencer les décisions à moyen et long terme.
Les indicateurs, ou ce qu'il faut mesurer
Il existe un débat de longue date sur les indicateurs qui vont au delà du produit intérieur brut. Divers projets, généralement complexes et ambitieux, ont été développés dans ce sens par l’Organisation de coopération et de développement économiques, Joseph Stiglitz, Eloi Laurent, etc.
Il est important de simplifier, de se concentrer sur les liens étroits entre les questions sociales et environnementales. Il s'agit principalement des inégalités sociales, qui reflètent les inégalités climatiques et la transition juste, ainsi que de la diversité et de la participation, qui reflètent le défi de la perte de biodiversité.
Nous devrions donc avoir deux séries d'indicateurs qui mesureraient la dimension sociale de la transition. Par exemple, sur les inégalités, nous pourrions considérer non seulement les indicateurs classiques - le coefficient Gini, le rapport entre les quintiles de revenus supérieurs et inférieurs et le taux de pauvreté - mais aussi l'inégalité salariale, les salaires moyens (et maximums) des dirigeants, le nombre de travailleurs pauvres, etc. En ce qui concerne la diversité, nous pourrions inclure l'intégration des non-nationaux, des minorités visibles et des réfugiés, la participation des femmes aux conseils d'administration des entreprises, la capacité de l'éducation à promouvoir l'émancipation sociale, la participation des travailleurs, la participation civique et citoyenne, etc.
Il s'agit d'un ensemble limité de questions en rapport avec la question beaucoup plus large du bien-être ou de la définition d'une "bonne vie". Mais elle a l'avantage de pouvoir prendre en compte rapidement les enjeux du travail et de sa qualité dans une même mesure.
Les différentes dimensions des quatre "i" décrites ici méritent d'être explorées plus avant, individuellement et en termes d'interrelations. Il s'agit d'établir un narratif dominant qui encadre les défis ainsi que d'identifier les acteurs appropriés et leurs alliances. De telles alliances devront être créées au sein des institutions pour parvenir à un consensus à long terme mais aussi pour ouvrir des espaces de dialogue permanent. Pour mesurer les progrès, des indicateurs d'inégalités et de diversité pourraient contribuer à marquer la piste à suivre.
Tel est le véritable sens d'un contrat socio-écologique, un contrat que nous devons créer ensemble.
(Cet article a été publié à l'origine sur Social Europe)
Crédits photos: ibrahim hakki ucman
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