Dans le contexte du "pacte vert pour l’Europe", l’Union européenne s’est engagée à réduire de moitié l’utilisation et les risques liés aux pesticides chimiques d’ici 2030. Frans Timmermans, vice-président exécutif de la Commission européenne, souligne que les mesures du pacte vert mettent en avant un "équilibre nouveau et meilleur entre la nature, les systèmes alimentaires et la biodiversité pour protéger la santé et le bien-être de nos concitoyens, tout en renforçant la compétitivité et la résilience de l’Union européenne". Mais qu’en est-il de la protection de la santé et du bien-être des travailleurs du secteur agricole ?

Il semble que les ambitions environnementales européennes aient du mal prendre racine au niveau national. À titre d’exemple, le ministre bulgare de l’Agriculture a autorisé l’utilisation de l’éthoprophos, dont l’utilisation a pourtant été bannie en Europe. En France, un arrêté du 5 février 2021 autorise l’usage, pour une durée limitée, de produits phytopharmaceutiques contenant des imidacloprides ou du thiaméthoxame (plus connus du public sous le nom de "tueurs d’abeilles"). Ces produits sont pourtant officiellement interdits en France et dans l’UE depuis 2018. Ils représentent non seulement un risque pour l’environnement, mais également pour les travailleurs du secteur agricole – comme le souligne l’arrêt de la Cour d’appel de Rennes du 06 Janvier 2021. Au-delà de reconnaître la responsabilité de l’entreprise Nutéra dans le suicide d’un de ses employées, cette décision met également en lumière les risques encourus pas les travailleurs exposés à ces produits. 

Ce n’est pas la première fois que Nutéra est condamné dans le cadre d’une exposition à des produits phytopharmaceutiques. En 2016, la société a été reconnue coupable par le Tribunal des affaires de Sécurité Sociale (TASS) de l’exposition au dichlorvos, contenu dans l’insecticide Nuvan Total. Bien que ce produit soit interdit d’utilisation en France depuis 2007, les travailleurs y ont pourtant été exposés entre 2009 et 2012. Suite à l’exposition, au moins trois travailleurs ont développé un syndrome d’hypersensibilité chimique multiple les rendant inaptes au travail, et ayant conduit à leur licenciement. L’un d’entre eux était d’ailleurs un collègue direct du travailleur qui mis fin à ses jours quelques années plus tard.

Non seulement l’entreprise n’a pas protégé ses salariés, mais elle les a également licenciés après que leur santé se soit détériorée. Cette façon de procéder a créé un environnement toxique, temps sur le plan physique que psychologique pour les travailleurs. En plus de souffrir des conséquences physiques de l’exposition à ces produits toxiques, la Cour d’appel de Rennes a reconnu l’existence d’un "stress économique" qui pesait sur l’entreprise et par conséquent sur les salariés, en lien avec la pérennité de leur emploi. Selon la Cour, ce contexte professionnel difficile et les conditions de travail dégradées sont constitutifs de la "cause nécessaire" au suicide du travailleur précité.

Ces décisions sont importantes, car elles rappellent qu’il est de la responsabilité de l’entreprise de prévenir l’exposition aux produits toxiques, tout en illustrant les conséquences lorsque ce n’est pas le cas. Bien que ces décisions ne mentionnent "que" quatre travailleurs, c’est malheureusement le quotidien de nombreux travailleurs du secteur agricole. Un rapport de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail publié en 2016 souligne que ces travailleurs sont les premières victimes des pesticides, et notamment des produits phytopharmaceutiques.

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