Les musées publics occupent une place centrale dans l’accès de la population à des œuvres d’art. Un musée, ça se rapporte généralement à des œuvres exposées. C’est aussi le travail presque invisible d’agents d’accueil et de surveillance sans lesquelles ces œuvres resteraient inaccessibles.

360000 m2 de planchers, 650000 œuvres dans les collections, un visiteur toutes les deux secondes, le Louvre est le musée de tous les records. Il cumule le titre de "plus grand musée du monde" avec celui de "champion du monde de la fréquentation", franchissant en 2018 la barre symbolique des dix millions de visiteurs.

Par comparaison, 5,8 millions de visiteurs se rendent la même année au British Museum de Londres. Mais se souvient-on de la façade du British Museum? Ce sont les efforts conjugués de la pyramide et de la Joconde qui assurent au Louvre sa notoriété.

Un succès en forme de défi pour les 1200 agents d’accueil et de surveillance du Musée du Louvre avec pour mission de satisfaire au quotidien ce flot continu de visiteurs avides de patrimoine.

L’état d’urgence permanent

Personne à la direction du musée ni au ministère de la Culture n’avait envisagé un tel engouement. "En 1989, année de l’inauguration de la pyramide, le Louvre accueille deux à trois millions de visiteurs, les pronostics les plus optimistes de l’époque tablent sur un pic à cinq millions de visiteurs", confie la responsable de communication. Dix millions d’entrées aujourd’hui qui mettent à l’épreuve l’infrastructure du musée comme ses agents.

Nous retrouvons Servane, 35 ans, responsable adjointe à l’accueil du public, au pied de la pyramide. Malgré le froid, l’arrivée reste majestueuse; il est 8h45 et la Cour Carrée fourmille déjà.

Icône internationale et symbole du Louvre, la pyramide est aussi l’entrée principale du musée. Les agents de sécurité en gilets orange orientent les visiteurs vers la bonne file d’attente: avec ou sans réservation, collections permanentes ou expositions temporaires, visiteurs solos et accueil des groupes. C’est toute une organisation pour éviter l’engorgement de ce boyau de verre.

D’un pas assuré, Servane nous guide vers les escalators qui descendent sous la ligne d’horizon. "Certains visiteurs sont désorientés par ce changement de niveau. Il faut comprendre, pour certains c’est la première fois dans un musée et parfois même, ce sera leur unique expérience. L’agent d’accueil doit savoir repérer ces visiteurs un peu perdus et les aiguiller. C’est un métier proactif contrairement aux idées reçues."

Regard malicieux et visage ouvert, Servane porte l’uniforme fourni par le musée: tailleur noir, chemise blanche. "C’est surtout notre badge avec la courroie orange que les gens voient. Tous les agents ont ça autour du cou. Voyez à la Com, il est bleu, c’est moins voyant", lance-t-elle en pointant le badge de sa collègue. Et d’ajouter rapidement que "dans d’autres musées la tenue est libre mais au Louvre ça répond à un vrai besoin".

La jeune femme enjouée travaille à l’accueil des publics du Louvre depuis 2003 ; elle se souvient de ses journées comme chargée de billetterie, installée dans l’îlot central situé sous la pyramide. "Il était là !", s’exclame-t-elle en pointant du doigt un agencement circulaire de dalles. "Une dizaine d’agents de billetterie se tenait à la merci des visiteurs, encerclés. Le bruit était permanent. À la fin de la journée, souvent je ne pouvais plus rejoindre mes amis et sortir, j’avais besoin de tranquillité."

Une pénibilité reconnue par le musée qui a depuis réalisé des travaux pour ménager ses salariés experts de l’accueil. Séduisant sur le papier, l’îlot central a disparu en 2017, repoussant vers des cavités latérales insonorisées les comptoirs d’information et la billetterie.

"L’hyper-fréquentation du musée est synonyme de fatigue pour nous", depuis les travaux d’amélioration une salle de repos est mise à la disposition exclusive des agents d’accueil, accessible par une porte dérobée sous la pyramide. Ambiance feutrée et chuchotements de mise dans cette pièce aux couleurs sombres disposant de cellules individuelles de repos, une dizaine d’alcôves incurvées pour s’allonger. "Idéal pour s’extraire de l’agitation permanente du musée", murmure Servane.

Pas le temps de s’attarder, il est 8h55, l’heure du dernier point d’équipe sous le pilier de la grande pyramide avant l’ouverture au public. "On transmet des informations opérationnelles: salles fermées, salariés manquants. En ce moment avec les grèves, les agents ont du mal à se déplacer." Nous apercevons à quelques mètres de là les piquets des grévistes du Louvre, protestant contre la réforme des retraites.

Une journée pas comme les autres

Comme tous les représentants de l’intersyndicale réunis en assemblée générale ce matin-là, Gary arbore un pull de Noël à gros motifs bariolés. Malgré la tenue, le délégué syndical CGT et secrétaire du comité de sécurité, hygiène et conditions de travail (CHSCT)1 dégage un charisme certain avec ses cheveux longs noués en catogan. Il nous accueille au local syndical du Louvre situé à côté des bureaux de la direction dans le pavillon Mollien.

"En temps normal, j’ai 45 minutes de transport pour me rendre au Louvre. Et cela fait 17 années que je fais ce trajet." Quand il n’est pas au CHSCT ni au conseil d’administration, Gary, 43 ans, est agent d’accueil et de surveillance dans l’aile Richelieu. "Le Louvre c’est central, mais pour la plupart on habite en banlieue. Un agent en début de carrière gagne le Smic2 plus douze euros. Un niveau de salaire qui rend difficile la location d’unlogement sur Paris."

Comme tout agent, sa journée démarre à labadgeuse, à l’entrée des salariés située sur le flan du musée coté Rivoli. "À partir de 8 h 45, on est considéré comme en retard." Tous les agents d’accueil et de surveillance du public sont tenus à cet horaire, soit une dizaine de métiers avec les caissiers, les contrôleurs, les agents de surveillance des salles, les agents d’intervention, les référents de collections...

Au moins un agent pour chacune des 403 salles du musée et, selon l’emplacement, l’activité est plus ou moins intense. "Rien que pour la Joconde, c’est 20000 visiteurs tous les jours, 40000 en saison haute, ce qui est l’équivalent d’une ville française moyenne!" Gary raconte comment le musée se prépare chaque jour à ce petit tsunami avec ses équipes au sol et ses unités mobiles.

Karine, 43 ans, parle différemment de ses 23 années au Louvre. Apprêtée, minutieusement maquillée, la déléguée syndicale raconte avoir rencontré son mari, Jean-Louis, au musée.

Piotr, 52 ans, a mal aux genoux. Il ne veut plus rester comme un piquet, toute une journée le fatigue. Les salles, sans chaise, à piétiner dans un petit périmètre, cela ne l’enchante plus. "Moi j’aime bien les endroits calmes, les Chasses de Maximilien par exemple, dans cette salle, on a parfois moins de dix visiteurs par jour, surtout des connaisseurs qui viennent revoir les tapisseries."

Au fil des salles parcourues avec Gary, on se laisse gagner par la beauté des lieux, les enfilades de salles et leurs riches plafonds décorés sont aussi saisissants que les profils parfaits des statues antiques. Après quelques heures passées dans les couloirs du Louvre, le génie des lieux nous enveloppe. Il confirme: "La magie opère aussi pour les salariés."

Pour Gary et les autres, les jours ne se ressemblent pas. Les plannings établis sur quatre semaines changent quotidiennement. D’ailleurs, des trois agents rencontrés ce matin, aucun n’a pensé à parler de la monotonie du métier.

"Ce lien avec le Louvre, ça fait partie du job. On accueille du public et comment bien le faire si on n’a pas connaissance du contexte, même s’il faut le reconnaître la plupart des questions tournent autour de la Joconde..."

Voir la Joconde est l’objectif de 80 % des visiteurs qui malgré tout font preuve de saveur et de créativité pour formuler leurs requêtes. "La Joconde est ainsi régulièrement l’œuvre de Leonardo DiCaprio; on a aussi ceux qui demandent où trouver Mona Lisa après avoir vu la Joconde", raconte-t-il en souriant.

L’autre aspect du métier, c’est la surveillance. Une tâche qui se complique avec l’évolution du public dans une société où tout a tendance à devenir un service. "Il est de plus en plus délicat de s’adresser à un parent qui aura une susceptibilité accrue quand il s’agit du comportement de son enfant", alors que ces mêmes parents semblent parfois manquer de civilité. Les agents nous décrivent d’improbables situations où les parents confondent un coin de salle d’exposition avec des toilettes pour enfants.

La technologie au service de la mission

Nous sommes étonnés de voir un agent consulter son smartphone avec un visiteur. À son tour, Gary nous montre le sien. "Avant c’était interdit, on n’avait même pas d’adresse courriel. Seuls les encadrants avaient accès à une messagerie."

En 2019, changement de stratégie pour le Louvre qui octroie une adresse mail se terminant par @louvre.fr à l’ensemble de ses agents.

"Regardez : Info Com : les salles fermées aujourd’hui. Ou encore Flash bi-mensuel : ça, c’est plus complet, des infos RH, des infos sur les collections, le retour d’une œuvre par exemple." On a du mal à s’imaginer comment circulait l’information jusqu’alors.

Gary nous raccompagne sous la pyramide où nous retrouvons Servane. Elle aussi a reçu un smartphone de son employeur, le Louvre, comme bientôt l’ensemble des 1200 agents.

"C’est certes un coût pour le service public mais un engagement pour le musée", explique Servane sous l’œil de la responsable de la communication.

Jusqu’alors le numérique servait surtout à valoriser les collections, désormais il s’infiltre dans toutes les activités du musée, accueil du public compris. Un pari pour installer le réseau wifi dans toutes les salles du Louvre, "avant on devait passer par son 4G personnel, impossible de trouver du réseau dans certaines parties très anciennes du musée".

Le déploiement du smartphone démultiplie les possibilités pour le Louvre de communiquer avec son public. Métier d’accueil, l’agent crée du lien entre les visiteurs et les collections, propose des places en ateliers, communique sur l’agenda du jour, un métier à la frontière de la médiation.

"Nous avons la meilleure connaissance des lieux, la meilleure expertise du terrain", insiste Servane qui voit grand pour l’implication de son réseau d’agents dans le système du musée. "Nous discutons avec la direction pour impliquer la conservation dans la formation des agents. Pas sur un module d’histoire de l’art, mais sur le pourquoi d’une collection, le pourquoi d’un département, pour expliquer les motivations derrière les aménagements, les partis pris d’exposition et le choix des œuvres."

Agent de la fonction publique de catégorie C (niveau brevet), il n’est pas exigé de l’agent d’accueil et de surveillance des connaissances en histoire de l’art ou une maîtrise d’une langue étrangère. En revanche, pour faire évoluer le rapport au public comme les pratiques d’accueil, le musée propose des formations à un panel de nouveaux outils qui transforment son rôle et sa posture vis-à-vis du public. "En ce moment ceux qui le souhaitent peuvent rejoindre Studio, un projet hors de l’espace muséo-graphique qui proposera des ateliers et des activités dédiés principalement aux familles, comme du moulage par exemple."

Ces changements sont bien acceptés par les agents, cela serait même une attente selon Servane. Une tendance qui devrait s’amplifier avec la vague de recrutements prévue en 2020 et le rajeunissement des effectifs. "Le smartphone connecte les agents aux autres salariés du Louvre, ceux qui travaillent pour les œuvres. Un lien humain avec les autres équipes, avec les autres corps de métiers. On veut donner du sens au métier, au-delà de surveillant de salle", conclut Servane•.

 

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