Des substances toxiques pour la reproduction sont largement utilisées sur les lieux de travail en Europe. La législation européenne se soucie de leurs effets sur les consommateurs et les traite au même titre que les agents cancérogènes. Cette approche n’est pas suivie lorsqu‘il s’agit de la protection des travailleurs.

Les hasards du calendrier suggèrent parfois un sens secret. Deux histoires lointaines qui se télescopent et révèlent quelque chose de plus profond sur notre monde. Le 24 février 2020 débute aux Pays-Bas le procès de quatorze ouvrières, soutenues par la principale confédération syndicale du pays, la FNV (Federatie Nederlandse Vakbeweging), contre leur ancien employeur, la société DuPont. Elles travaillaient à Dordrecht dans une usine qui fabriquait du Lycra. Elles ont été exposées pendant des années au diméthylacétamide (DMA), un solvant toxique pour la reproduction.

Perte modeste pour les actionnaires

En ce même mois de février, Dark Waters sort sur les écrans. Ce film de Todd Haynes est la chronique d’une suite de procès contre DuPont aux États-Unis. À Parkersburg en Virginie occidentale, dans une usine fabriquant les poêles Téflon, des centaines d’ouvriers ont été exposés à l’acide perfluorooctanoïque (PFOA), connu aussi comme C8, une substance aux qualités anti-adhésives. DuPont avait pris connaissance de la toxicité élevée du PFOA dès 1961. La production s’est poursuivie alors que, dès 1981, les nouveau-nés de certaines ouvrières présentaient des anomalies congénitales. La seule réaction fut d’exclure les femmes de cette ligne de production. En 1989, DuPont constate un nombre élevé de décès par leucémie parmi les ouvriers. Quelques mois plus tard, ce sont les cancers du rein qui attirent l’attention. Outre les travailleurs, les habitants des localités environnantes sont affectés par les rejets massifs de PFOA dans l’eau. L’avocat Robert Bilott entame en 1998 une première action judiciaire. Il s’agit d’indemniser un agriculteur dont le cheptel bovin a été décimé. Les langues se délient, une enquête épidémiologique de grande ampleur est organisée. On dénombre notamment une quantité élevée de cancers des testicules, des reins, du foie parmi les personnes exposées et des malformations congénitales dans leur descendance.

Lorsque l’histoire narrée par le film s’arrête en 2015, les procédures ne sont pas terminées mais des centaines de victimes ont déjà bénéficié d’indemnités importantes. En février 2017, DuPont verse 671 millions de dollars à un groupe de 3550 victimes. La perte reste modeste pour les actionnaires. Pendant les meilleures années, le Téflon rapportait un milliard de dollar par an.

Un procès aux Pays-Bas commence alors qu’un film retrace les difficultés d’une saga judiciaire qui se poursuit depuis vingt ans de l’autre côté de l’Atlantique.

"Si je n’avais pas travaillé pendant des années dans le département emballage de l’usine de Lycra de DuPont à Dordrecht, ma vie aurait été différente", explique Romy Hardon, ouvrière dans cette usine de 1977 à 1988. Elle a donné naissance à un enfant mort-né. Elle se rend sur la tombe chaque mois. Elle a eu de gros problèmes de fertilité. Elle a dû se résigner à une ablation de l’utérus. Romy a commencé à travailler pour DuPont quand elle avait dix-sept ans. Son père était déjà un ouvrier de la même entreprise depuis 1962. Il a commencé sa carrière en produisant des fibres synthétiques d’Orlon. Il a ensuite été affecté à la production de Téflon. Il est mort d’un cancer à l’âge de 46 ans. En Europe, DuPont n’a jamais été inquiété pour le Téflon... Astrid Musig est plus jeune. Elle est entrée dans l’usine en 1989 et y est restée jusqu’en 2001. Elle a été exposée au DMA et son mari travaillait à la production du Téflon. Leur fille Sandrina est née lourdement handicapée. Elle peut à peine marcher en raison d’une faiblesse musculaire. Elle parle difficilement et présente le niveau intellectuel d’une enfant de quatre ans.

Des valeurs limites pour éviter la substitution

Romy et Astrid sont loin d’être les seules ouvrières concernées. Les problèmes de santé reproductive ont affecté tant des hommes que des femmes. Le syndicat a passé quatre ans à essayer de convaincre DuPont d’indemniser les victimes. Il s’est finalement décidé à lancer un procès. DuPont ne pouvait pas ignorer la littérature scientifique qui indique que le DMA est toxique pour la reproduction. Se réfugiant derrière les valeurs limites d’exposition professionnelle (VLEP), l’entreprise affirme que ces valeurs étaient respectées et qu’il n’y a donc aucune responsabilité de sa part. Un argument semblable avait été utilisé en ce qui concerne la pollution de l’eau par le PFOA en Virginie occidentale. Une valeur de concentration maximale avait été établie... à un niveau tellement élevé qu’elle ne protégeait ni les humains, ni leur bétail.

Plusieurs éléments lient ces histoires au-delà du fait qu’il s’agit de la même entreprise DuPont.

Pourquoi investir dans la prévention alors que l’origine professionnelle du risque reste invisible pour les personnes concernées ? Le caractère toxique des substances est connu de l’industrie mais celle-ci clame qu’elle respecte des valeurs limites d’exposition. Les autorités publiques restent passives. Elles prêtent aux valeurs limites la vertu magique de protéger la santé sans s’interroger 

sur le rôle décisif que joue l’industrie dans leur détermination. Les victimes appartiennent à la classe ouvrière ou à des populations à revenus modestes dans le cas des riverains. Il faut attendre des années pour que des tragédies individuelles vécues comme une fatalité humaine soient reliées les unes aux autres. On identifie alors une cause chimique dans le travail. Mais, quand on découvre que des études toxicologiques existaient depuis des années et démontraient que la substance était toxique pour la reproduction, il faut admettre que cette cause est aussi sociale et politique. Elle s’inscrit dans les rapports de domination qui sacrifient les corps ouvriers aux profits des entreprises. Tant le Téflon que le Lycra sont à l’origine d’articles de grande consommation. L’industrie chimique apparaît comme un démiurge rendant la vie plus heureuse avec des produits innovants. Lycra est érigé en symbole de modernité et d’innovation. Sa promotion commerciale ne célèbre pas une fibre mais "l’ingrédient magique qui apporteà ses utilisateurs de la tenue, du confort et de la liberté de mouvement".

Trois générations mises en danger par une exposition

Demeter, une base de données française de l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) fournit des informations sur presque 200 substances utilisées dans des milieux de travail qui sont toxiques pour la reproduction et cette liste est loin d’être exhaustive.

D’après la classification harmonisée de l’Union européenne, il existe 27 substances qui sont classifiées comme reprotoxiques dans la catégorie 1A (toxicité avérée pour l’être humain), 234 dans la catégorie 1B (toxicité présumée) et 150 substances dans la catégorie 2 (toxicité suspectée). Cette classification ne concerne qu’une petite partie des substances mises sur le marché, il faut y ajouter environ 4700 substances notifiées par les fabricants ou les importateurs comme étant des reprotoxiques dans une de ces trois catégories.

La classification est nettement en retard sur la réalité du marché. Au cours de ces dernières décennies, de nombreuses substances ont été mises sur le marché sans être soumises à des tests suffisamment sensibles pour identifier la toxicité reproductive. Le marché est inondé par l’arrivée de substances dont les risques n’ont pas été évalués de manière suffisante. Ainsi, les nanoparticules peuvent franchir la barrière placentaire qui protège l’embryon. C’est ce qui a été observé par des chercheurs chinois chez des souris exposées à des nanoparticules de dioxyde de titane.

Cette substance est utilisée massivement dans de nombreuses applications différentes (peinture, crèmes solaires, aliments, médicaments, dentifrice...). Un constat comparable a été établi pour les points quantiques, une nanostructure utilisée dans les panneaux photovoltaïques et dans l’imagerie médicale.

Les perturbateurs endocriniens portent également atteinte à la santé reproductive. Une minorité d’entre eux ont fait l’objet d’une classification en tant que toxiques pour la reproduction. Les procédures sont lentes et entravées par l’influence de l’industrie chimique sur les agences de régulation. L’identification des perturbateurs endocriniens est difficile parce que le système européen de classification ignore cette catégorie.

Les effets de ces substances peuvent porter sur l’ensemble du cycle de la reproduction humaine. Elles peuvent affecter la fertilité, le déroulement de la grossesse (morts intrautérines, fausses couches, prématurité). Elles peuvent aussi affecter l’embryon et mettre ainsi en danger la santé d’un enfant à venir à travers l’exposition de ces parents : cancers, troubles du système immunitaire, problème de développement neurologique et intellectuel, troubles du comportement, obésité...

L’hormone DES (aussi connue comme distilbène) est un médicament qui était souvent administré pendant la grossesse. On constate des effets plus graves chez les filles que chez leurs mères qui avaient été exposées. Un chercheur en épigénétique, Michael Skinner, explique que "quand une femme enceinte ingère le DES, son bébé l’assimile aussi. Mais chez ce bébé, les cellules sexuelles pour la génération suivante sont déjà prêtes. C’est ainsi que trois générations sont exposées simultanément et instantanément à l’effet de l’hormone". Skinner précise que la structure du distilbène ressemble à celle du bisphénol A et son fonctionnement est le même que celui du DDT. Autrement dit, ce médicament agit de manière similaire à des perturbateurs endocriniens qui ont été massivement utilisés dans l’industrie et l’agriculture.

Il existe un contraste entre l’attention portée par la santé publique sur ces problèmes et leur négligence en santé au travail. Et pourtant, les expositions professionnelles constituent un facteur important d’atteintes à la santé reproductive. On ne dispose pas d’une estimation précise du nombre de travailleurs exposés dans l’Union européenne. Deux millions semble être une évaluation minimale. La probabilité d’être exposé à une substance toxique pour la reproduction concerne surtout les catégories les moins privilégiées. Cela transmet des inégalités sociales de santé d’une génération à l’autre.

Une ignorance toxique

L’absence de prévention est souvent présentée comme une conséquence de l’absence de données. Cette explication est insuffisante. Même pour les substances dont la toxicité reproductive est connue depuis longtemps, la prévention est loin d’être à la hauteur. La carence de données résulte elle-même de l’absence de prévention. C’est parce qu’il n’existe pas un cadre législatif suffisamment contraignant pour la prévention que les données ne sont pas recueillies. L’ignorance toxique n’est pas une fatalité.

La toxicologie étudie les substances à partir de tests en laboratoire. Il s’agit souvent de tests sur des animaux. De nombreux effets passent inaperçus s’ils ne sont pas menés sur deux générations. La réglementation européenne n’impose ces tests que pour les plus hauts volumes de production (à partir de 10 000 tonnes par an et par producteur). La grande majorité des substances qui est mise sur le marché échappe donc à ces tests.

L’épidémiologie part des atteintes à la santé constatées et enquête sur les causes de celles-ci. Elle vérifie si une pathologie est plus fréquente dans un groupe exposé à un facteur de risque par rapport à un groupe témoin. La recherche épidémiologique sur les facteurs professionnels en santé reproductive devrait être développée. L’étude PELAGIE menée en France montre le potentiel de ces recherches. C’est une recherche longitudinale qui suit l’état de santé d’une population déterminée à différents moments sur une longue période de temps. Elle a été mise en place en Bretagne en 2002. Elle a inclus 3421 femmes enceintes. Son objectif est d’évaluer les conséquences à long terme des expositions prénatales et pendant l’enfance à divers contaminants environnementaux et professionnels sur la grossesse et le développement de l’enfant. Les enfants ont été suivis à différents âges: deux ans et six ans. Le suivi de l’adolescence est en cours. Un sous-groupe d’enfants fait l’objet d’un suivi plus approfondi du développement cognitif et psychologique et du fonctionnement cérébral. Parmi les divers résultats concernant les conséquences des expositions professionnelles des mères, on peut relever le lien entre les solvants organiques et les malformations congénitales, entre les pesticides organophosphorés et des problèmes respiratoires et allergiques chez l’enfant.

Il existe une troisième source d’un immense potentiel qui se heurte au cloisonnement entre santé publique et santé au travail. Les autorités qui gèrent les registres des malformations congénitales ne recueillent aucune information sur la profession des parents. Les registres des cancers permettent de repérer facilement les cancers infantiles mais leurs données ne sont pas reliées aux activités professionnelles des parents. L’interconnexion de données de différentes sources permet de remédier à cet inconvénient. Quelques recherches pionnières montrent l’ampleur de la connaissance "empêchée" par la non-utilisation de ces registres. Dès 1980, des chercheurs finlandais ont publié une étude basée sur l’analyse du registre des malformations congénitales dans leur pays. Ils ont sélectionné les cas de défauts du système nerveux central. Des entretiens détaillés ont été organisés avec les mères de manière à connaître leurs conditions de travail. La recherche a montré le risque représenté par les solvants organiques et les poussières industrielles. Près de quarante ans plus tard, une équipe danoise a travaillé à partir des registres de cancers. Elle a établi un lien entre le fait que le père ou la mère travaillait dans le secteur de la peinture et des cancers infantiles. Une autre équipe danoise a mis en évidence le lien entre des expositions de la mère aux émissions de moteur diesel et des cancers du système nerveux central parmi leurs enfants.

Dérobade de la Commission européenne

Dans les législations européennes, les toxiques pour la reproduction sont traités dans la même catégorie que les cancérogènes et les mutagènes. Chaque fois que la protection des consommateurs ou de l’environnement est en jeu, les règles européennes considèrent, à juste titre, qu’il faut imposer les mêmes règles à des substances qui partagent deux caractéristiques essentielles. Leur risque pour la santé humaine est particulièrement élevé et souvent irréversible, et les effets peuvent être fortement différés dans le temps, ce qui les rend moins visibles.

Cette approche a été suivie par REACH, le dispositif central de régulation concernant la mise sur le marché des substances chimiques et par de nombreuses réglementations spécifiques concernant notamment les pesticides, les cosmétiques, les biocides, les déchets...

L’unique exception concerne la santé au travail. Il existe, depuis 1990, une directive concernant les agents cancérogènes. En 1999, son champ d’application a été étendu aux mutagènes, c’est-à-dire aux substances qui induisent des mutations dans le génome humain. En 2002, la Commission européenne a lancé une nouvelle révision de la directive en vue, notamment, de faire entrer dans son champ d’application les toxiques pour la reproduction. Il existe bien une directive générale sur les agents chimiques adoptée en 1998. Les règles de prévention qu’elle établit sont nettement moins contraignantes que celles de la directive sur les cancérogènes. Elle ne contient qu’une seule VLEP obligatoire qui concerne précisément un toxique pour la reproduction, le plomb. Cette VLEP a été établie à un niveau si élevé qu’elle n’assure aucune protection contre les risques en santé reproductive. Traiter les toxiques pour la reproduction dans le cadre de cette directive sur les risques chimiques en général contredit l’approche générale du droit européen qui reconnaît que ces substances sont extrêmement préoccupantes et doivent faire l’objet d’une législation plus contraignante.

Le blocage général de la révision de la directive sur les cancérogènes, décidée par la Commission pendant la période qui correspond aux deux mandats de José Manuel Barroso (2004-2014), a fait perdre une dizaine d’années. À plusieurs reprises, le Parlement européen s’est prononcé pour une révision de la directive et pour l’inclusion des toxiques pour la reproduction dans son champ d’application. Les organisations syndicales ainsi qu’une partie des États membres soutenaient cette proposition.

Lorsque la Commission européenne a fini par relancer la révision en 2016, elle a opéré une volte-face surprenante sur la question des risques reproductifs. En mai 2016, Marianne Thyssen, la commissaire européenne en charge de l’Emploi et des Affaires sociales, a déclaré que l’étude d’impact commanditée par la Commission "ne clarifiait pas assez les coûts et les bénéfices potentiels" de l’extension de la directive aux toxiques pour la reproduction.

Le recours à une étude d’impact sur les coûts et les bénéfices pour justifier un choix politique de cette importance est d’autant plus choquant que l’étude en question ne pouvait que reconnaître la très grande incertitude qui pesait sur les calculs.

En 2017, dans le cadre de la première phase de la révision de la directive, le Parlement européen a voté un amendement qui reprenait ce que la Commission elle-même proposait une dizaine d’années plus tôt: le champ d’application de la directive devait être étendu aux substances toxiques pour la reproduction. Le texte adopté finalement sur la base d’un compromis entre le Parlement européen et le Conseil des ministres est moins catégorique. Il impose à la Commission de se prononcer sur une éventuelle intégration des substances toxiques pour la reproduction au plus tard pour le 31 mars 2019.

Entre 2017 et 2019, la Commission a durci ses positions. Cette rigidité s’explique en partie par des tensions internes. Les directions générales en charge de la régulation des risques chimiques (DG Grow, DG Environnement) considèrent qu’il serait cohérent de faire bénéficier les travailleurs de l’approche générale de la législation européenne qui applique les mêmes règles aux cancérogènes et aux toxiques pour la reproduction. Seule la DG Emploi s’y oppose.

Placée devant une échéance précise par le Parlement et le Conseil, la Commission s’est contentée d’une dérobade. À la date fixée, elle s’est limitée à publier sur son site Internet une deuxième "étude d’impact" fortement biaisée pour justifier sa passivité (voir encadré).

Cette position est d’autant plus étrange que l’inclusion des substances toxiques pour la reproduction ne fait pas l’objet d’un tir de barrage patronal. Loin de là. L’industrie chimique y est favorable tout en préconisant quelques dérogations pour les substances pour lesquelles une VLEP basée sur la santé a été rendue obligatoire au niveau européen. Pour d’autres questions concernant la révision de la directive, comme les émissions des moteurs diesel ou la silice crystalline, il y a eu un lobbying industriel intense. Ce n’est pas le cas en ce qui concerne les toxiques pour la reproduction.

Une vision patriarcale

Au-delà de logiques de pouvoir bureaucratique qui font que la DG Emploi a très mal supporté que le Parlement européen ne s’aligne pas sur ses propres positions, il faut s’interroger sur ce qui sous-tend la banalisation des risques pour la santé reproductive au travail.

Dès la fin du XIXe siècle, l’inquiétude face aux conséquences de certains toxiques industriels sur les générations futures a produit des législations où l’exclusion permanente ou temporaire des femmes prévalait sur la prévention des causes. La législation européenne repose encore en partie sur cette logique. La santé reproductive au travail n’apparaît explicitement que dans une seule directive: celle qui concerne les travailleuses enceintes. Dans cette directive, les mesures de prévention ne sont déclenchées que lorsqu’une travailleuse informe son employeur qu’elle est enceinte. Une telle conception est inefficace du point de vue de la prévention et engendre des discriminations à l’égard des femmes. C’est la travailleuse enceinte qui devient le problème, plutôt que les risques du travail. Comme les mesures de prévention dépendent d’une communication préalable par la travailleuse, elles sont rarement mises en place avant la dixième semaine de la grossesse. C’est précisément pendant cette première période de la gestation que le développement de l’embryon court les plus grands risques.

Un stéréotype puissant subsiste selon lequel les risques reprotoxiques sont une affaire de femmes. L’activité de reproduction, réduite à un domaine privé, ne doit pas créer d’obstacle à la production. La banalisation du risque reprotoxique le dilue dans la masse générale des risques chimiques. Certes, personne ne prétendra qu’un enfant avec une grave malformation congénitale est l’équivalent d’une irritation cutanée mais cette atteinte à la santé sera considérée comme un drame personnel, souvent vécu dans la solitude et une certaine culpabilité.

En réalité, les risques reprotoxiques affectent tant les femmes que les hommes. Ils ne relèvent pas d’une défectuosité des individus mais des choix opérés dans la production. Si la période de la grossesse est particulièrement critique pour certaines expositions, cela ne signifie pas que les périodes antérieures soient sans risque.

Intégrer les agents reprotoxiques dans le champ d’application de la directive sur les cancérogènes permettrait d’en améliorer la prévention. Ce serait aussi une remise en cause de la subordination de la reproduction aux impératifs de la production. C’est l’enseignement principal des drames du Lycra et du Téflon•.

Pour en savoir plus

Une version plus ample de cet article avec l’ensemble des références et sources et des hyperliens avec les documents les plus importants se trouve sur le site HesaMagPlus (www.etui.org)

Mengeot M.A. (2008) Produire et reproduire. Quand le travail menace les générations futures, ETUI, Bruxelles.

Mengeot M.A. avec la collaboration de Musu T. et Vogel L. (2016) Perturbateurs endocriniens : un risque professionnel à (re)connaître, ETUI, Bruxelles.

Musu T. et Vogel L. (2018) Cancer et travail : comprendre et agir pour éliminer les cancers professionnels, ETUI, Bruxelles.

Wriedt H. (2016) Reprotoxins that should be subject to limit values for workers’ exposure, ETUI, Bruxelles.

Table of contents

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