Le 13 février, un tribunal de Turin a condamné à 16 ans de prison les deux accusés du procès du drame de l'amiante, l'ex-propriétaire du groupe suisse Eternit, Stephan Schmidheiny, et un administrateur d'Eternit Italie, le baron belge Jean-Louis Marie Ghislain de Cartier de Marchienne. Le milliardaire suisse Schmidheiny, 65 ans, et le baron belge, âgé de 90 ans, ont été jugés responsables de la mort d'environ 3.000 personnes en Italie, anciens ouvriers ou habitants de quatre localités où Eternit-Italie avait ses usines. La justice italienne les a aussi condamnés à verser des dizaines de millions d’euros aux parties civiles pour avoir provoqué «une catastrophe sanitaire et environnementale permanente» et pour avoir enfreint les règles de la sécurité au travail. Au total, 6.000 personnes, en majorité des victimes de l’amiante ou des proches de défunts, réclament un dédommagement.

Il s’agit d’une victoire pour le procureur, Raffaele Guariniello, qui a enquêté cinq ans sur cette affaire hors norme. « Le verdict nous donne à tous le droit de rêver, pas seulement en Italie, mais partout dans le monde. Le droit de rêver que la justice peut et doit être faite pour les victimes de l’amiante », a-t-il déclaré. Pour autant, l'affaire n'est pas terminée. Les accusés, qui étaient absents à l’audience, ont déjà annoncé qu’ils feront appel. « De toute façon, la Suisse n’extrade pas ses citoyens, mais l’Italie peut exiger que Stephan Schmidheiny purge sa peine en Suisse pour autant que toutes les voies de recours sont épuisées et que la condamnation est confirmée», a expliqué un juriste au journal suisse Le Temps. Selon lui, l’Italie peut aussi lancer un mandat d’arrêt international. Un pays peut effectivement arrêter le «fugitif» et l’extrader en Italie si tant est que les conditions d’une extradition soient remplies.

C’est au terme de cinq ans d’enquête et de trois ans de procès que le verdict est tombé. La plainte pénale avait été déposée en 2003. Eternit a cessé ses activités en Italie dès 1986, soit six ans avant l’interdiction de l’amiante dans la Péninsule. Mais la défense a fait comprendre que l’entreprise était déjà au courant des risques posés par ce matériau.

Stephan Schmidheiny avait hérité du groupe Eternit en 1984 alors que le groupe Holderbank, rebaptisé Holcim, allait à son frère Thomas. Après avoir cédé Eternit Suisse en 2004, Stephan Schmidheiny, dont la fortune est estimée par le magazine économique suisse Bilan à entre 3 et 4 milliards de dollars, se consacre à des projets de développement durable, principalement en Amérique du Sud.

Le baron Jean-Louis de Cartier de Marchienne est un homme d'affaire belge fortuné, descendant d'une longue lignée aristocratique et lié à quelques-unes des plus puissantes familles d'industriels de son pays. Ses liens avec le groupe Eternit Belgique, aujourd’hui Etex, remontent à 1950, lorsqu'il épouse Viviane Emsens, descendante d'Alphonse Emsens, un industriel belge qui a acheté en 1905 le brevet du procédé de fabrication des plaques d'amiante-ciment à l'Autrichien Ludwig Hatschek.

Le jugement de Turin a été accueilli avec joie non seulement en Italie, mais également dans d’autres pays où les victimes de l’amiante tentent de se faire entendre.1800 personnes sont mortes dans la seule ville de Casale Monferrato où Eternit Italie avait l’une de ses usines de fabrication d’amiante-ciment. Les proches des disparus étaient nombreux à avoir fait le déplacement au tribunal. «Nous savons très bien que ce n’est pas fini; il y a encore des personnes malades et des personnes qui meurent. Le désamiantage n’est pas encore totalement achevé. Il faut donc continuer à se battre », a déclaré une femme membre d’une association de victimes. Pour les victimes de l’amiante d’autres pays qui réclament l’organisation de procès similaires au pénal, le procès Eternit de Turin est une lueur d’espoir.

Sources : AFP, Reuters, euronews, Le Temps, Les Échos.