"L'Angleterre est en train de fléchir", déclarent les premières lignes de la Marmot Review of Health Equity in England, publiée en février 2020 et coordonnée par le célèbre épidémiologiste Sir Michael Marmot, directeur de l'Institute of Health Equity. Le taux d'espérance de vie, qui, parallèlement à l'amélioration continue de la santé, n'a cessé d'augmenter depuis le début du XXème siècle, ralentit depuis 2011 dans des proportions jamais observées depuis 120 ans : un phénomène que l'on ne voit nulle part ailleurs en Europe. Dans les communautés les plus démunies en dehors de Londres, il a même baissé pendant une partie de la décennie 2010-2020.
Ce n'est là qu'une des conclusions accablantes de cette étude indépendante, qui révèle un accroissement des inégalités en matière de santé dans le pays et une détérioration générale de la santé physique et mentale. Depuis le premier rapport Marmot de 2010 sur les inégalités en matière de santé, demandé par le secrétaire d'État à la santé de l'époque, dix ans de politiques d'austérité sont passés, ces dernières ayant été mises en œuvre par les gouvernements conservateurs successifs. Bien que le lien entre austérité et inégalités de santé ne puisse être prouvé, ces politiques ont indéniablement un impact sur ce que Marmot appelle les "déterminants sociaux de la santé". Cette étude souligne que les diminutions passées de l'espérance de vie dans d'autres pays ont été le "résultat de perturbations politiques, sociales ou économiques catastrophiques ou graves", comme par exemple l'éclatement de l'Union soviétique.
Un autre résultat inquiétant est que le Royaume-Uni présente actuellement l'un des taux de pauvreté infantile les plus élevés de tous les pays de l'OCDE. Ce taux est plus élevé, par exemple, que dans des pays de l'UE tels que l'Italie, le Portugal, la Slovaquie, la Lettonie, la Pologne, la Tchéquie et la Hongrie. Il s'agit, entre autres, d'un grave problème de santé publique selon l'étude, car la pauvreté des enfants est plus susceptible d'entraîner des "expériences négatives durant l'enfance" telles que la maltraitance et la négligence, et par conséquent une santé plus fragile.
En ce qui concerne la santé publique, il existe des inégalités évidentes entre les genres, les régions et les communautés. L'espérance de vie en bonne santé a diminué pour les femmes depuis 2010, en particulier dans les régions les plus défavorisées du pays. Ces communautés plus pauvres, qui ont également le plus souffert des années d'austérité ayant conduit à de sévères coupes dans le financement des autorités locales, se trouvent généralement dans le nord de l'Angleterre. Les plus fortes baisses du taux d'espérance de vie, par exemple, ont été observées dans les 10 % de quartiers les plus défavorisés du nord-est, alors que ce même taux a en fait augmenté dans les 10 % de quartiers les moins défavorisés de toutes les régions.
L'un des facteurs les plus importants contribuant à la détérioration de la santé, mis en évidence par l'étude, est l'augmentation du travail de mauvaise qualité. Si les taux d'emploi ont augmenté depuis 2010, une proportion croissante de la population travaille à temps partiel, dans des emplois précaires et/ou des contrats zéro heure. Le stress, la dépression et l'anxiété liés au travail ont augmenté en proportion. En outre, le taux de pauvreté des travailleurs a augmenté. Le Royaume-Uni a connu une croissance négative de l'évolution annuelle moyenne des salaires réels entre 2007 et 2018, ce qui en fait le seul pays parmi les autres membres européens de l'OCDE, à l'exception de l'Italie, du Portugal et de la Grèce. Marmot prévient que "le gouvernement ne peut se contenter de déclarer que l'austérité est terminée". Il faut augmenter les dépenses en matière d'éducation et de services à la jeunesse, accroître le salaire minimum national (Living wage) et investir dans la création de collectivités saines et durables.
Références: