Les équipements de protection individuelle peuvent sauver des vies sur les lieux de travail. Malgré la féminisation de nombreuses professions, ceux-ci restent conçus par des hommes et pour des hommes. Plusieurs initiatives ont vu le jour afin de tenir compte des spécificités morphologiques des femmes.
Les équipements de protection individuelle (EPI) destinés aux travailleuses font souvent défaut. Il est fréquent d’entendre des travailleuses dire, s’agissant des EPI, qu’ils sont "conçus pour les hommes"; "ils font du bruit à certains endroits"; "les bras et les jambes sont trop longs"; "il est très difficile de trouver des chaussures de sécurité de la bonne taille" ou "ils ont tendance à ne pas bien m’aller là où il faut!"... Les expériences signalées en matière de port des EPI sont celles d’une protection effective limitée et ce phénomène constitue dès lors un obstacle aux opportunités d’emploi. Des recherches ont montré que la conception d’EPI pour les femmes exige des paramètres différents et un engagement des fabricants et des fournisseurs à développer un tel équipement. Lorsque ces équipements sont disponibles, ils apportent un véritable changement dans la vie professionnelle des femmes qui les utilisent.
Lors de la conférence "Femmes, santé et travail", organisée par l’Institut syndical européen (ETUI) en mars 2015, un panel avait été consacré à ce problème important. Examinons trois exemples qui montrent les bénéfices de la prise en compte de la morphologie des femmes lors de la conception et de l’utilisation des EPI. Ces cas démontrent également comment une telle prise en compte peut améliorer les conditions de travail, et comment il est possible de changer les perceptions des fabricants d’EPI.
Adapter les EPI aux besoins des femmes
La femme n’est pas une "version réduite" de l’homme. L’absence d’EPI conçus pour les femmes est susceptible de poser des problèmes d’emploi et d’entraîner des pertes de productivité. La recherche d’un EPI répondant aux besoins des femmes peut retarder leur embauche et les utilisatrices doivent souvent les "adapter". Un tel comportement a souvent des conséquences néfastes du point de vue de la sécurité, à la fois pour l’individu et pour le processus. Un EPI et des tenues de protection adaptés aux besoins individuels permettent d’éviter des accidents.
Dorothy Wigmore, spécialiste canadienne de la santé et de la sécurité, a mis en évidence l’existence de données anthropométriques justifiant l’importance de la conception d’EPI spécialement adaptés aux femmes. Les États-Unis et le Canada ont commencé à collecter de telles données, respectivement au début des années 1970 et dans les années 1980. L’armée américaine a effectué des recherches et collecté des données anthropométriques qui montrent que les femmes ne constituent pas des versions à échelle réduite des dimensions corporelles masculines. Ces informations ont été utilisées pour concevoir des EPI, des vêtements et même des postes de travail différents pour les hommes et les femmes.
Des problèmes similaires se posent également dans d’autres secteurs. Des publications spécialisées en santé et sécurité ont aussi soulevé des questions concernant les travailleurs des mines de charbon ou de la construction, ou qui sont employés dans des postes de travail non traditionnels, et relatives à l’utilisation et à l’efficacité des équipements de protection individuelle et des vêtements de travail destinés aux femmes. L’étude anthropométrique nationale réalisée aux États-Unis sur les femmes pompiers s’est penchée sur la question de la carence des informations nécessaires pour pouvoir établir que les femmes pompiers sont prises en compte dans les paramètres de conception ; l’étude a en outre souligné d’autres sources de préoccupations relatives à l’adaptation de l’équipement et des appareillages pour les femmes pompiers (sous le buste, au niveau du tour de taille, des hanches, du torse, de la tête, etc.).
Même s’ils sont en nombre limité, des EPI destinés aux femmes sont fabriqués et sont disponibles sur le marché, mais ils n’atteignent pas toujours les femmes qui en ont besoin. Ces équipements sont rarement présentés ou ne sont pas affichés comme produits destinés aux femmes, ou bien il existe une politique d’achat restrictive au sein des organisations ; pourtant, des exemples positifs existent. Miller Fall Protection – une filiale du groupe américain Honeywell – propose ainsi le ‘Ms. Miller Harness’, un harnais intégral dont les bretelles sont conçues pour ne pas comprimer la poitrine des femmes, et qui est doté d’un support au niveau des hanches. Rosies, une entreprise familiale américaine dirigée par des femmes, propose des salopettes et des combinaisons de travail conçues en fonction du corps d’une femme, ainsi que des gants spécifiquement conçus pour une main de femme. Au Canada, Covergalls Inc. conçoit, produit et assure la promotion de vêtements de travail destinés aux ouvrières de l’industrie.
La campagne des bottes pourpres
Au Royaume-Uni, la Women’s Engineering Society (WES) examine comment améliorer les conditions de sécurité et de travail dans les secteurs de l’ingénierie et de la construction. Face au manque de données fiables, la WES a élaboré une enquête sur les tenues de sécurité qu’elle a ensuite distribuée auprès des fournisseurs, des travailleurs et des travailleuses, ainsi que des réseaux de femmes au Royaume-Uni. L’enquête poursuivait deux objectifs: mieux cerner les problèmes posés par les EPI pour les femmes dans différents secteurs comme la construction, les technologies informatiques et l’énergie; identifier les types d’EPI les plus problématiques et proposer des améliorations en vue de leur utilisation par des femmes.
Les résultats de l’enquête ont montré la faible disponibilité de vêtements de protection spécialement conçus pour les femmes. Les vestes, les gants, les chaussures, les pantalons et les coiffes se sont révélés être les articles les plus problématiques. En outre, aucun EPI spécifique n’est disponible pour les femmes enceintes. La majorité (75%) des EPI portés par les femmes ayant répondu à l’enquête avaient été conçus pour des hommes. Plus de la moitié des personnes interrogées ont signalé que leur EPI les gênait dans leur travail et les rendait moins efficaces, et qu’il pourrait s’agir d’un facteur influençant leur décision de cesser de travailler dans le secteur (voir graphique). À la suite de cette enquête, WES a lancé, en partenariat avec Dunlop Safety et d’autres organisations, la campagne des "bottes pourpres" (Purple Boot Campaign) dont le but est de concevoir et de développer une nouvelle gamme de chaussures de sécurité pour les femmes ingénieurs.
Des femmes dans le cockpit
Même si les premières femmes pilotes ont fait leur apparition dès le début du XXe siècle, les commandants de bord de sexe féminin restent toujours une minorité. À l’échelle du monde, 3% des pilotes sont des femmes soit quelque 4 000 sur les 130 000 pilotes en activité. Cette disparité historique trouve une double explication dans les origines de l’aviation. D’une part, la profession était essentiellement militaire et, d’autre part, les avions et équipements aéronautiques ont toujours été axés sur les hommes du point de vue de l’ingénierie et du design.
En Espagne, l’institut de recherche ISTAS, lié au mouvement syndical, a effectué une enquête pour comprendre comment le rôle du pilote avait évolué depuis les années 1980 et, plus précisément, comment les femmes pilotes de ligne ont pu ou non bénéficier de meilleures conditions de travail durant cette période. Les femmes dans l’aviation sont d’emblée confrontées à des difficultés, comme le montrent les interviews effectuées par l’ISTAS. Celles-ci ont montré que les femmes qui travaillent comme pilote doivent affronter des formes de désapprobation fondées sur des stéréotypes et se voient offrir moins d’opportunités de voler que leurs collègues masculins. Les femmes pilotes doivent également sans cesse faire leurs preuves et démontrer de très hauts niveaux de compétence.
Il ressort de l’enquête que le cockpit est l’espace par excellence sous le contrôle des hommes. Les spécifications de l’ingénierie, les instruments, les outils, les EPI et les autres dispositifs sont conçus pour correspondre aux proportions du corps masculin. Pour pouvoir travailler dans le cockpit, une certaine force et une certaine taille sont requises, ce qui a empêché un certain nombre de femmes de devenir pilote. En raison des choix ayant présidé à la conception de ces équipements, 70 % des femmes ne peuvent atteindre les pédales, les instruments de contrôle, les manettes et les points de visibilité, ce qui est bien entendu particulièrement grave. Même le cockpit le mieux conçu et le mieux équipé ne peut être considéré commeefficaceetsûrs’ilimposedeslimitationsàses utilisateurs et à ses opérateurs, qu’il s’agisse d’hommes ou de femmes.
La sécurité devenant une priorité toujours plus importante dans l’aviation, le secteur a été contraint de procéder à des changements. L’objectif était de réduire le nombre d’erreurs humaines et d’améliorer la sécurité du pilotage. Ce phénomène, associé aux débats à l’échelle mondiale sur les droits sociaux et les droits humains, a constitué une fenêtre d’opportunité pour les femmes désireuses de mener une carrière plus ambitieuse dans l’aviation.
La transformation a commencé par la conception de systèmes de cockpit plus sûrs, plus fonctionnels et plus avancés. L’automatisation des cockpits a exigé des compétences différentes et un effort physique moins important. Au début des années 1990, une nouvelle culture organisationnelle a commencé à émerger, en particulier par l’entremise de procédures de formation comme "la gestion des ressources du cockpit" et "la gestion des ressources de l’équipage", qui promouvaient la communication interpersonnelle, du leadership et du processus décisionnel dans le cockpit, intégraient le rôle du copilote et soulignaient la nécessité de travailler avec l’ensemble de l’équipage. Ces changements à la fois techniques et organisationnels ont favorisé le développement de conditions de travail nouvelles, axées sur la sécurité.
Néanmoins, avec l’émergence de nouveaux business modèles et des compagnies aériennes "low-cost", les conditions de travail et d’emploi sont en cours de transformation. À l’avenir, le rôle et le nombre des femmes pilotes sont certainement appelés à connaître des changements qui méritent un débat approfondi.
Les EPI doivent être “personnalisés”
La conception et la production axées sur la sécurité des équipements de protection individuelle revêtent une importance essentielle pour la protection de tous les travailleurs. Les EPI continuent d’être indispensables dans un grand nombre d’activités et c’est pourquoi il convient de veiller à l’actualisation de leur sélection, de leur utilisation et de leur entretien. Nous pouvons tirer trois conclusions des exemples que nous venons d’évoquer.
Tout d’abord, s’agissant des EPI, la standardisation est importante parce que les normes doivent être respectées et que les exigences ergonomiques et l’accent mis sur la santé et la sécurité doivent être intégrés dès la conception. Sur le premier point, le fait d’inclure la dimension du genre dans l’analyse ergonomique contribue à réduire les accidents et les troubles musculosquelettiques. En matière de sécurité, les différents comités de normalisation doivent pouvoir avoir accès aux expériences pratiques des utilisateurs – le feedback – afin de permettre un échange réciproque pour le développement de normes adéquates.
Ensuite, les exemples indiqués plus haut illustrent les problèmes, les expériences et les besoins exprimés par les travailleuses et comment ces éléments ont effectivement transformé leur travail. Le transfert de cette connaissance qu’ont les femmes contribue à reconnaître l’existence de certains aspects de leur travail qui sont susceptibles de présenter un risque ou de conduire à des problèmes de santé spécifiquement féminins. Les témoignages et les expériences des femmes peuvent également éclairer les problèmes relatifs à la santé des femmes qui étaient demeurés invisibles.
Une telle approche est conforme au principe établi dans la législation européenne sur les équipements de protection individuelle suivant laquelle les EPI doivent être "personnalisés". Cela signifie qu’il faut assurer l’accès à des EPI qui répondent aux besoins et aux caractéristiques spécifiques de chaque utilisateur final : hommes, femmes, jeunes travailleurs, ainsi que les personnes handicapées. Il existe des exemples de fabricants qui présentent ce type de produits dans leurs catalogues.
Enfin, il reste nécessaire de collecter davantage de données paneuropéennes fiables, au travers d’études davantage orientées vers l’action ou d’initiatives de recherche suivant une approche multidisciplinaire. Les syndicats, les autorités gouvernementales, les organismes de normalisation, les employeurs, les spécialistes de l’ergonomie et les réseaux de femmes doivent travailler ensemble sur cette problématique•.
Références
Gordon C. (1988) Anthropometric survey of U.S. army personnel: methods and summary statistics. Final report, Science and advanced technology directorate.
Larmour J. et al. (2010) WES safety clothing and footwear survey. Women’s Engineering Society. http://www.wes.org.uk/sites/default/files/ WES%20safety%20survey%20results%20 March%202010.pdf
Narocki C. (2015) Presentation on working conditions as barriers to women entering a men’s world: the case of female aviation pilots. www.etui.org > Evénements > Femmes, santé et travail