La situation du monde du travail s’est dégradée en Europe au cours de ces dernières années. Le cas de la Grèce frappe par sa violence. Il n’est que l’expression d’un phénomène plus étendu de réduction des droits. Les réformes de la législation du travail ont affaibli aussi bien les droits individuels que collectifs. Les licenciements ont été facilités. Le temps de travail est soumis à des exigences de flexibilité avec un accroissement des heures supplémentaires autorisées et des systèmes de compensation de celles-ci moins favorables.
On observe un recours massif à des contrats précaires. Aux Pays-Bas, les contrats de travail conclus pour une durée indéterminée sont passés de 83 000 en 2010 à 2 000 l’année suivante. En Espagne, la nouvelle mouture du contrat de formation en alternance permet d’étendre celui-ci... jusqu’à l’âge de 34 ans. Les droits collectifs sont contournés ou réduits. Le nombre de travailleurs couverts par des conventions collectives a diminué. En Estonie, 6% seulement des entreprises comptant cinq travailleurs ou plus sont couvertes par des conventions collectives.
La sécurité sociale est également affectée. La plupart des pays européens ont modifié leurs régimes de retraite. C’est l’âge de départ à la retraite ou le nombre d’années de cotisation pour obtenir une pension complète qui ont été modifiés vers le haut. Ceux qui exercent des métiers pénibles ont plus de difficulté à accéder à une retraite anticipée. Du côté des prestations de chômage, le panorama n’est pas plus favorable: conditions d’accès rendues plus difficiles, montants insuffisants, tendance à obliger les personnes au chômage d’accepter n’importe quel boulot.
Les soins de santé ont jusqu’à présent échappé à l’attaque générale, tant il est clair qu’un système de santé s’appuyant sur une forte protection sociale a de meilleures performances qu’un système fondé sur des assurances privées comme aux États-Unis. Dans différents domaines du droit du travail, une orientation nouvelle est cependant apparue: elle consiste à adopter des règles spéciales, plus défavorables aux travailleurs, pour les petites et moyennes entreprises. Le Royaume-Uni a ouvert la voie et l’idée d’un droit du travail "à deux vitesses" ne semble pas déplaire à la Commission européenne.
Ces "contre-réformes" du droit du travail renforcent la précarisation. Les dispositions juridiques sont amplifiées par la pression économique: le chômage en hausse est défavorable à l’exercice des droits. La peur de perdre son emploi peut se combiner avec un sentiment proche de la culpabilité: comment revendiquer des droits alors que d’autres sont privés de tout travail ?
Ces conditions contribuent à une réduction des effectifs syndicaux dans presque tous les pays d’Europe. En Suède, une nouvelle variété d’organisations est apparue: il s’agit d’une firme privée qui entend se substituer aux syndicats. Elle en exerce certaines fonctions dans la gestion des dossiers individuels de ses affiliés, mais renonce à toute forme de mobilisation, de représentation et de négociation collectives. Cette forme "décaféinée" de syndicalisme a été créée en collaboration avec une entreprise de travail intérimaire et une compagnie d’assurance.
Depuis ses origines, les discussions sur le projet politique de l’Union européenne ont été liées à un modèle social qui, en dépit de différences dans les systèmes de relations industrielles entre les pays, reposait sur l’idée d’une singularité forte dans le développement du capitalisme européen par rapport à d’autres parties du monde.
La crise actuelle semble remettre en cause cette donnée de base. Pour la première fois, on assiste à des régressions sociales simultanées dans la plupart des pays communautaires. Certaines institutions européennes mettent la pression sur les droits sociaux. Les interventions liées à la crise en Grèce, en Espagne et au Portugal ont placé ces pays sous un contrôle accru de la Commission et, chaque fois, la casse sociale a été programmée comme une des conditions du soutien financier. La Cour de justice de l’Union européenne s’en est prise au droit de grève, accusé de compromettre la libre circulation des entreprises.
Ce contexte politique défavorable rend d’autant plus importante l’action sur les conditions de travail. Celles-ci se situent au point de contact entre l’activité des individus et de déterminants plus globaux, politiques, économiques et sociaux. Elles traduisent dans la vie quotidienne des personnes la violence des rapports de domination dans la société. La lutte pour l’amélioration des conditions de travail est aussi un apprentissage de l’action collective. Elle permet de rêver et de donner corps à une société différente•.